Connaissance et Identification des Fougères

LA FOUGERE AIGLE, UNE PLANTE HAUTEMENT TOXIQUE

Intro

La fougère aigle (Pteridium aquilinum) est présente dans le monde entier et fait partie des cinq espèces de plantes vasculaires les plus répandues dans le monde. Très commune en France, cette fougère peut atteindre 1.80 m et couvre densément certaines forêts. Elle se propage par des rhizomes souterrains et par dispersion des spores. Ces dernières sont produites en grande quantité. Particulièrement petites, elles sont facilement transportées par le vent à des distance pouvant dépasser 3000 km. Leur durée de vie varie de quelques mois à plus de 10 ans et résiste au passage à travers le tube digestif des insectes. On la trouve dans les sous-bois, zones semi-ombragée liées à une humidité modérée mais aussi les landes et zones buissonnantes. Il n’est pas rare que cette espèce soit utilisée pour les haies qui délimitent les parcelles dans la campagne. Cette fougère, lorsqu’elle est ingérée par des animaux, peut provoquer des troubles graves. C’est la seule plante supérieure connue qui cause des cancers chez les animaux. Le risque pour l’homme existe aussi car elle peut s’inviter dans l’alimentation ou dans l’eau ou être utilisée comme aliment ou comme médicament. Dans certains pays, le risque pour la santé humaine lié à la consommation de feuilles de fougère, de lait et de produits laitiers contenant des substances cancérigènes est pris en considération.

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Texte
Crosse de Pteridium aquilinum
Crosse de Pteridium aquilinum

 

Ses utilisations dans l’histoire

Depuis l’antiquité grecque, la fougère aigle a été longuement utilisée comme médicament : dans les pays nordiques, on l’utilisait comme vermifuge contre les helminthes et les cestodes avec la décoction de ses rhizomes. Les tribus indiennes d’Amérique du Nord utilisaient ses rhizomes comme antiémétique, antihémorragique, analgésique et tonique.  L'extrait de frondes était utilisé pour soigner les maladies du foie, des voies urinaires et les maladies vénériennes mais aussi contre les douleurs de la rate, les saignements de nez et les ulcères. Les compresses de frondes étaient utilisées pour soigner les plaies cutanées. Dans le Nord du Pakistan, l’extrait de fougère aigle est encore utilisé pour soigner les troubles gastriques. On la récoltait en guise de paille pour constituer la litière du bétail, le paillage des cultures, des toits de chaumes. En France, elle servait aussi à l’alimentation humaine avec la fabrication du “pain de fougère” dans le Mâconnais en cas de disette. L’industrie en consommait une grande quantité, d’une part pour la production d’énergie (maltage) et d’autre part comme source de potasse pour l’élaboration d’engrais, de savon ou de verre (après mélange avec de la silice pour faciliter la fusion en remplacement de la soude). Les frondes, qui possèdent une odeur caractéristique, sont un répulsif pour les insectes et sont parfois utilisés pour emballer les fruits et légumes. Actuellement, la fougère aigle fait partie de la liste B des plantes médicinales utilisées traditionnellement en l’état ou sous forme de préparation dont les effets indésirables potentiels sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu. Cette liste est diffusée par l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé).

Pteridium aquilinum dans un paysage d'Ecosse
Pteridium aquilinum dans un paysage d'Ecosse

 

La production de principes actifs toxiques

La photosynthèse est la réaction chimique essentielle que réalisent les plantes à partir de l’eau et du gaz carbonique. Elles utilisent la lumière comme source d’énergie, produisent des sucres et rejettent de l’oxygène. Les plantes réalisent aussi des réactions chimiques ultérieures et produisent des métabolites secondaires, produits chimiques souvent toxiques qui jouent un rôle pour la plante, la plupart du temps défensif. Dans le cas de la fougère aigle, les composés toxiques sont des enzymes et des huiles essentielles, des terpènes très volatils et des hétérosides cyanogénétiques qui libèrent de l’acide cyanhydrique par hydrolyse. Ils sont contenus dans toute la plante, en particulier les jeunes pousses, les rhizomes et les frondes. L’ingestion par les animaux d’élevage d’au moins une de ces parties provoque des troubles graves pouvant aller jusqu’à la mort et la fougère aigle est responsable de pertes importantes chez le bétail.

Toxicité vis-à-vis des herbivores

Chez les porcs et les chevaux, ces troubles sont liés à une carence aigüe en vitamine B1, la thiamine. La fougère contient de la thiaminase, une enzyme qui détruit la thiamine par hydrolyse. Cette vitamine joue un rôle indispensable dans la synthèse des glucides. Les chevaux développent une anorexie, perdent du poids et deviennent émaciés. Sans intervention humaine, c’est-à-dire doser le la thiamine dans le sang, les chevaux développent une paralysie postérieure. Certains cas évoluent vers un opisthotonus terminal (contraction généralisée des muscles postérieurs), des convulsions et la mort. Plus le diagnostic est précoce, plus les chances de rémission sont bonnes.

Un autre composé contribue significativement à la toxicité de la fougère aigle, un terpène, le ptaliquoside.  Il est responsable d’un syndrome hémorragique aigu, d'hématurie enzootique bovine et de cécité lumineuse qui surviennent chez le bétail ovins et bovins. Ce composé est aussi cancérigène et mutagène.

La cécité lumineuse chez les ovins : chez les moutons, la pâture des fougères aigle de façon chronique, provoque une dégénérescence rétinienne appelé cécité lumineuse.

L’hématurie enzootique chez les bovins : le BPV-2 est un papillomavirus bovin qui infecte la muqueuse de la vessie, provoquant une infection latente. L’ingestion de fougère aigle par les moutons infectés conduit à des lésions et une hématurie puis un cancer de la vessie généralement mortel. Le ptaquiloside de la fougère est excrété dans l'urine et se transforme en un sous-produit hautement cancérigène qui explique la formation de tumeurs dans la vessie. L'hémorragie des lésions de la paroi de la vessie se produit par intermittence et l’anémie hémorragique provoque le décès.

Pteridium aquilinum en automne
Pteridium aquilinum en automne

 

Le risque d’exposition humaine

Une part importante (de 8 à 10 % du ptaquiloside ingéré par les vaches nourries avec des fougères aigles est excrété en fonction de la dose dans le lait). Dans certains pays comme la Turquie ou la Bulgarie, la fougère aigle est utilisée pour la litière en hiver et les bovins peuvent la consommer entrainant un risque de contamination du lait. La contamination du lait des vaches qui se nourrissent de fougères aigles par le ptaquiloside peut donc être une voie importante d'exposition humaine parmi les populations rurales consommant du lait directement de vaches broutant des fougères. La pasteurisation diminue le niveau de ptaquiloside dans le lait de 50 % et l'ébullition d'environ 75 %. Certaines études épidémiologiques menées au Pays de Galles ou au Costa Rica montrent que l’autoconsommation de lait ou la production artisanale de fromages avec un lait d’origine locale pourrait aboutir à des concentrations suffisantes de produits cancérigènes pour induire des cancers chez l’homme.

Dans certains pays comme le Japon, les jeunes crosses de Pteridium aquilinum sont utilisés comme salade verte. Même si la fougère est bouillie ou marinée avant de la manger pour retirer son goût astringent, cela n’enlève pas sa toxicité en particulier son pouvoir cancérigène. Il faut noter que le Japon détient le triste record de cancers de l’estomac.

Les humains peuvent être directement exposés par la consommation de la plante, de l'eau ou du lait contaminés et l'inhalation de spores. Des études épidémiologiques ont montré une association entre l'exposition aux fougères et le cancer gastrique. Le ptaliquoside est le principal composé chimique responsable. Il agit au niveau des cellules gastriques induisant des cassures du brin d’ADN et la mort cellulaire (apoptose) ayant pour conséquence ses effets cancérigènes et mutagènes.

Un risque, même s’il est difficile à évaluer, existe chez les personnes qui travaillent dans une zone couverte par la fougère aigle ou qui l’utilise largement comme compost (ou en présence d’autres espèces de fougères, notamment en serres horticoles) lors de la dissémination des spores de juillet à octobre. Le port du masque chirurgical est donc préconisé au moins pendant cette saison mais l’utilisation d’autres plantes moins ou non toxiques en remplacement est fortement recommandée.

Les molécules toxiques de cette fougère peuvent être transportées dans l'environnement (sol, eau) par différents moyens : lessivage (à partir de feuilles vivantes et mortes, racines, rhizomes par la pluie) ou transfert par les animaux (à partir de fougères en sol par l'urine). Des conséquences environnementales et toxicologiques existent. Des études réalisées au Danemark, en Ecosse et en Suède montrent que les molécules de ptaliquoside sont transférées dans le sol sous-jacent et encore plus profondément dans la nappe phréatique. Le ptaliquoside semble être relativement stable dans tous les types de sol-solution et le risque de lessivage est principalement contrôlé par l'état microbiologique et les propriétés chimiques du sol.

Rachis de Pteridium aquilinum

 

En conclusion, la fougère aigle Pteridium aquilinum très commune ne doit pas être utilisée ni pour la nourriture des animaux d’élevage, ni pour leur litière. Il est nécessaire d' éradiquer les pieds à proximité des champs où pâturent les animaux. Les utilisations humaines, en phytothérapie, en alimentation (jeunes pousses) doivent être proscrites. La fabrication de compost avec des frondes sèches, doit se pratiquer avec un masque chirurgical mais il est largement préférable d’utiliser des espèces végétales non toxiques.

Espèce ou Variété concernée

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Espèce
Pteridium aquilinum
(L.) Kuhn, 1879
Fougère aigle

Bibliographie

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Auteur de l'article

Nadine SABOURIN
Date de publication
Dimanche 15 août 2021 - 11:07
Dernière modification
Dimanche 15 août 2021 - 11:22